samedi 27 novembre 2010

Sokodé et Didauré, deux noms pour une même cité ?

En pays tem, lorsqu’on veut se rendre d’un village au chef-lieu de la Préfecture de Tchaodjo, on a trois manières de l’annoncer : 1) Mɛ n ɖɛɛ Đɩdawʋrɛ ‘je vais à Didauré’, 2) Mɛ n ɖɛɛ Sɔgɔɖɛyɩ ‘je vais à Sokodé’, 3) Mɛ n ɖɛɛ Sookooɖee ‘je vais à Sokodé’. Ces trois façons de dire la même chose sont sociologiquement connotées. La première sort plus souvent de la bouche des personnes non scolarisées, particulièrement les femmes, à preuve, sur les marchés régionaux où les fermières viennent proposer du vivrier aux revendeuses de Sokodé, les premières appellent les secondes Đɩdawʋrɛ alaa ‘les femmes de Didauré’. La seconde façon de s’exprimer s’entend avec les personnes scolarisées et quelques analphabètes. La troisième, quant à elle, appartient au ‘frantem’ (français+tem), ce mélange de Tem et de français, propre aux scolarisés d'un certain niveau.

Aussi la deuxième ville du Togo est-elle connue sous deux noms, Didauré et Sokodé, deux désignations pratiquées à un même degré par les populations autochtones. Logiquement une double nomination intervient lorsque 1) un changement notable intervient dans la cité et est de nature à lui faire changer de statut, 2) l’opération transformatrice se fait à partir non pas de l’ensemble de la cité mais à partir de l’un de ses quartiers et 3) le quartier, siège de la rénovation, porte un nom. Les acteurs de la rénovation ont tendance à désigner l’ensemble de la cité transformée par le nom du quartier où le changement a eu lieu ou a débuté ; mais les habitants et les voisins de la cité, eux, continuent d’appeler celle-ci par son nom habituel.

En se fondant sur l’habitude des Administrations coloniales qui consiste à préférer installer leurs Quartiers Généraux à l’écart de l’agglomération autochtone et en tenant compte de l’expression suivante
« [le Dr Kersting] se replia sur Adjéidê au poste de Kri-Kri »
(Union des Communes du Togo, www.uct-togo.org, Présentation générale de Sokodé)

on peut dire que les noms Adjèidè et Kri-Kri, désignant tous les deux l’une des cités mola du pays tem, illustrent le processus de la double nomination tel qu’exposé ci-dessus. En effet, la citation de l’UCT semble dire que Kri-Kri est le nom d’un quartier ou d’une localité proche d’Adjèidè. Ce ne serait qu’à la suite de l’événement relaté dans la citation que le village est devenu Kri-Kri pour l’Administration et l'état civil tandis qu’il est resté Adjèidé pour les autochtones.

La double nomination du chef-lieu de la Préfecture de Tchaoudjo résulte-t-elle du même processus ? Certes, les couples de noms Sokodé/Didauré et Kri-Kri/Adjèidè partagent deux propriétés : 1) à l’instar de la cité de Adjèidè, la transformation de la cité de Sokodé a commencé avec l’installation d’un poste administratif par les Allemands ; 2) seul un membre de chaque couple, Sokodé pour le premier et Kri-Kri pour le second, a eu les faveurs de l’état civil. Cette double similitude a suffi pour convaincre certains qu’au départ il n’y avait que Didauré ; Sokodé ne serait apparu que grâce à un processus d’urbanisation. Parmi ceux qui en sont convaincus, il y a l’UCT qui, dans sa présentation de la commune de Sokodé, parle de
« village de Didaouré, aujourd’hui quartier central de la ville de Sokodé »
et reconnaît que
« les Allemands, depuis leur installation jusqu’à leur départ […] en 1914, organisèrent le centre en construisant leurs bâtiments administratifs et en réalisant des aménagements dans les quartiers ».
A travers ces propos l’UCT veut dire qu’au départ il y avait un village du nom de Didauré et qu’après un processus d’urbanisation, ce village est devenu un quartier d’une cité urbaine baptisée Sokodé.

Les auteurs de Sokodé, ville multicentrée (http://books.google.fr/), J. C. Barbier et B. Klein, abondent dans le même sens que l’UCT (s’ils n’en sont pas plutôt les inspirateurs) avec plus de précision quant à l’origine du mot Didauré ; ils écrivent, p. 17 :
« A proximité du lieu d’implantation de leur poste militaire et administratif, [les Allemands] trouvèrent un village de commerçants et d’artisans d’origine soudanaise, un dîda’ûré (nom générique désignant ce type d’agglomération, qui a donné le nom propre du quartier Dîda’ûré) »
En plus clair, les auteurs pensent que dîda’ûré est un nom commun qui désigne un type de village ; de nom commun dîda’ûré est devenu un nom propre quand l’agglomération qu’il désignait est devenue un quartier d’une cité urbaine qui a pris le nom de Sokodé.

La thèse de l’UCT-Barbier-Klein ne manque pas de bon sens mais ce bon sens résulte d’une observation superficielle. Sa faiblesse apparaît dans son incapacité à répondre à des questions aussi simples que les suivantes : 1) L’urbanisation de Sokodé a commencé depuis la fin du 19e siècle et, en 2010, elle se poursuit encore. A quel stade de cette urbanisation le dîda-ûré-village a-t-il été rebaptisé du nom de Sokodé ? 2) Qui est-ce qui aurait choisi le nom de baptême, les Allemands, les Français, le Ouro Esso ou les Dîda’ûrais ? A vrai dire, les deux noms, Sokodé et Didauré ont toujours coexisté, avec même, ironie du sort, un droit d’aînesse en faveur de Sokodé. C’est ce qui va ressortir de l’analyse linguistique des deux noms.

Sokodé
La prononciation [sokode] et la transcription Sokodé sont celles de l’Administration depuis ses origines coloniales. La prononciation autochtone est [sɔgɔɖɛyɩ]. Sɔgɔɖɛyɩ fait partie du paradigme des noms propres. Comme tel, il est dépourvu de suffixe. Sa forme finale -ɛyɩ, peu commune en Tem, le range dans un sous-paradigme de quatre unités dont les trois autres sont : Kɩzɛyɩ ‘nom de la rivière qui arrose le village de Tchalo’, Sɛgbɛdɛyɩ ‘nom de l’un des six places de marché du pays tem’ et kɔɖɛyɩ ‘envie irrésistible’.

Un nom commun dépourvu de suffixe de genre est un emprunt. Kɔɖɛyɩ est donc un emprunt. Si l’une des unités du sous-paradigme est un emprunt il y a des chances pour que les autres unités soient, elles aussi, des emprunts, et très probablement des emprunts à une même langue, ce qui renforce leur unité.

En plus d’être des noms propres probablement empruntés à une même langue, Sɔgɔɖɛyɩ et Sɛgbɛdɛyɩ se manifestent sous des formes fortement semblables à deux niveaux. Au niveau phonétique les deux noms sont rythmés en quatre syllabes chacun : /sɔ-gɔ-ɖɛ-yɩ/ et /sɛ-gbɛ-dɛ-yɩ/. Le niveau morphologique crée un soupçon de composition nominale. En efet, les deux noms commencent par une syllabe initiale qui est sɔ dans un cas et sɛ dans l’autre. La première n’a pas une voyelle ɔ par hasard ; elle semble être une réponse au ɔ de la syllabe gɔ suivante. La deuxième n’a pas non plus une voyelle ɛ par hasard ; elle serait une réponse au ɛ de la syllabe gbɛ suivante. Cette harmonisation vocalique intervient lorsque la syllabe initiale est le radical d’un nom servant de déterminant dans un mot composé. Lorsque, par exemple /tar/, radical de tarʋʋ ‘palmier raphia’ est en situation de déterminant d’un nom composé, sa voyelle /a/ varie de timbre en fonction du timbre de la voyelle du radical du nom déterminé ; on a ainsi [a] dans /tar-faadɩ/ qui se réalise tafaadɩ ‘feuilles de raphia’, [e] dans /tar-kpeti/ prononcé tekpeti ‘palmes de raphia’ et [ɛ] dans /tar-sɛɛlɛ/ prononcé tɛsɛɛlɛ ‘écorce de palme de raphia’. Sɔgɔɖɛyɩ et Sɛgbɛdɛyɩ semblent résulter d’une composition nominale à partir d'un même radical déterminant, /sa/. Cette similitude de la structure des mots Sɔgɔɖɛyɩ et Sɛgbɛdɛyɩ avec un mot composé a inspiré des intuitions qui ont vu en Sɔgɔɖɛyɩ la prononciation d’un composé, /sɔm-kɔɖɛyɩ/ ‘viande-forte envie’.

Pour justifier le sens du mot traduit par ‘forte envie de viande’ ces intuitions ont prétendu que le lieu était ainsi désigné parce que particulièrement giboyeux et qu’on s’y rendait quand on avait envie de viande. La justification est réfutable grâce à deux arguments, l’un morphologique, l’autre sémantique.

Pour l’argument morphologique il faut rappeler que dans tous les composés où sɔm ‘viande’ intervient comme nom déterminant, il ne se déleste pas de sa consonne nasale (m) ; le composé /sɔm-cɩɖɛ/ (viande-morceau) ne se prononce pas [sɔjɩɖɛ] mais [sɔnjɩɖɛ] ‘morceau de viande’, avec /n/ représentant /m/ de sɔm ; de même le composé /sɔm-tɔdɔm/ (viande-tendresse) ne donne pas [sɔdɔdɔm] mais [sɔndɔdɔm] ‘viande tendre’, là aussi avec /n/ substitut de /m/ de sɔm.

L’argument sémantique fait valoir l’idée que si /sɔ/ de Sɔgɔɖɛyɩ représentait sɔm, il devrait en être de même de /sɛ/ de Sɛgbɛdɛyɩ et, dans ce cas, Sɛgbɛdɛyɩ aurait un sens attaché à la notion de viande. Or Sɛgbɛdɛyɩ n’était (ni n’est) un marché où l’on trouve plus de volaille ou de petit bétail qu’ailleurs, où l’on propose une cuisine carnée plus importante qu’ailleurs. Il n’y a donc pas de raison de voir dans /sɛ/ le radical ou la racine de sɔm. Et si /sɛ/ de Sɛgbɛdɛyɩ n’a point de rapport avec sɔm, il devrait en être de même de /sɔ/ de Sɔgɔdɛyɩ.

L’objectif visé par la démonstration de la similitude des formes des noms Sɔgɔɖɛyɩ et Sɛgbɛdɛyɩ est de montrer que cette similitude pourrait en cacher une autre, celle des objets désignés. Sɛgbɛdɛyɩ est l’une des places de marché du pays tem. Pourquoi Sɔgɔɖɛyɩ n’en serait-il pas un lui aussi ? Certes, l’hypothèse repose sur un argument très mince, la similitude des formes mais le processus du peuplement du pays tem et l’organisation des échanges économiques au sein de ce territoire va la renforcer et la rendre crédible.

C’est pour rechercher des terres arables que sept frères Mola quittent les flancs du mont Malfakassa pour les vallées du Mono et de ses affluents. A cette époque, celles-ci étant infestées par la chasse aux esclaves, chacun des frères, à la tête des hommes de son village en âge de se battre, entreprend de se tailler un espace cultivable à l'intérieur des vallées. Au fur et à mesure que des portions de terres sont conquises, le village y installe des familles qui créent des fermes agricoles appelées fɔsɩ (sg. fɔɔ). La conquête se poursuit jusqu’à satisfaction de toutes les familles du village.

C’est ainsi que chaque village mola s’est créé des fermes agricoles parfois éloignés de plusieurs kilomètres de la cité-mère. Une ferme peut compter jusqu’à cinq familles ; elle produit du vivrier, de la volaille et du petit bétail. Une partie de la production est réservée à la consommation, le reste sert 1) à payer un tribut annuel au roi du village, 2) à payer les éventuelles amendes découlant des jugements et 3) à effectuer les échanges commerciaux. Ces échanges s’effectuent entre fermes d’un même secteur sur une place publique hors des fermes et aspécialement ménagée à cet effet.

Parce qu’il y a plusieurs groupements de fermes agricoles, il y a plusieurs places de marché sur l’ensemble du pays tem. Officiellement il existe six places de marché appelées, respectivement, Sɛgbɛdɛyɩ, Soom, Kpaarɩ, Kejika, Kudongoli et Kalamaazɩ. Sɛgbɛdɛyɩ dessert les fermes Saasaamdɛɛ et Kalaarɩ des villages de Kadambara et Tchalo ; Kpaarɩ dessert les fermes Đamalaa, Coodi, Đeesu et Abacaŋ, un autre groupe de fermes de Kadambara. Kalamaazɩ qui semble se situer du côté de l’ancien site de Birini devait desservir les fermes des villages de Birini, Dibiyidɛɛ, Kparataawʋ et Yɛlɩvɔɔ. Il est possible que Kudongoli soit une autre place pour les mêmes villages. Soom et Kejika sont des places desservant les villages de la zone montagneuse. La répartition des places par zones de production fait apparaître une anomalie : où s’effectuent les échanges des produits agricoles provenant des fermes de Kpangalam et Caavaadɩ, villages des aînés des sept frères Mola, qui plus est ? Il est inconcevable qu’aucune place de marché n’ait été prévue pour ces villages donc l’activité économique est l’agriculture. Il doit y avoir une place, peut-être même la première des places pour ces deux cités mola qui ont été les premières à s’installer. Et si Sɔgɔɖɛyɩ était cette place ? Une réponse positive à la question ne peut être possible que si l’on parvient à expliquer l’absence de Sɔgɔɖɛyɩ dans le cycle des marchés du pays tem.

Jour de marché
La fermière du pays tem dispose d’un marché local près de sa ferme ; mais il a un libre accès à tous les marchés du pays. Pour lui permettre de jouir de ce droit mais aussi pour permettre à la commerçante citadine (en pays tem, le commerce est un métier de femme) d’accéder à chaque place et, surtout, pour éviter toute concurrence entre places de marché, il a été organisé un roulement de séances : une place ne s’ouvre au marché que si les autres ont épuisé leur tour. D’où la nécessité d’établir un calendrier de roulement. L’ordre chronologique de succession adopté est le suivant : Sɛgbɛdɛyɩ, Soom, Kpaarɩ, Kejika, Kudongoli et Kalamaazɩ. Un jour, c’est le marché de Sɛgbɛdɛyɩ, le jour suivant c’est celui de Soom, etc.

Le mot pour dire ‘jour’ en Tem est wɩrɛ (pl. wɛ). Désormais chaque jour sera le jour de marché d’une des places. Tout jour est donc déterminé par le nom de la place où se tient le marché du jour. Ainsi, le jour du marché de Sɛgbɛdɛyɩ est Sɛgbɛdɛyɩ wɩrɛ, le jour du marché de Soom est Soom wɩrɛ, le jour du marché de Kpaarɩ est Kpaarɩ wɩrɛ, le jour du marché de Kejika est Kejika wɩrɛ, le jour du marché de Kudongoli est Kudongoli wɩrɛ et le jour du marché de Kalamaazɩ est Kalamaazɩ wɩrɛ. Si Sɔgɔɖɛyɩ était un marché pourquoi Sɔgɔɖɛyɩ wɩrɛ n’existe pas ? Une explication s’impose.

Didauré
Le territoire tem disposait bien de sept places de marché ; Sɔgɔɖɛyɩ en était la septième. Située à mi-chemin entre Kpangalam et Caavaadɩ, elle devait desservir les fermes des deux cités. Le pays tem était caractérisé au plan politique par le fait qu'il était régi par la royauté donc par un système centralisé, au plan culturel par le fait qu'il pratiquait le culte des ancêtres et au plan économique par le fait qu'il pratiquait non pas une agriculture de subsistance, mais une agriculture excédentaire dont une partie de l’excédent était commercialisé sur les sept places de marché. C’est dans ces conditions que survint un peuple, les Malʋwa, qui demanda et obtint l’hospitalité du Pouvoir central. Les Malʋwa étaient différents de leurs hôtes parce qu'ils pratiquaient l’Islam et n'étaient pas des agriculteurs mais des artisans (bouchers, ferronniers, cordonniers, coiffeurs-chirurgiens, etc.) et commerçants. Comme ils n’avaient pas besoin de terres à cultiver et qu’ils exerçaient le commerce, l’Autorité royale leur offrit de s’installer près d’une place de marché; ce fut Sɔgɔɖɛyɩ qui les accueillit. Pour le Malʋwa, le commerce est une activité quotidienne ; le Pouvoir l’autorisa à l’exercer tous les jours. Du coup Sɔgɔɖɛyɩ sortit du cycle hebdomadaire des marchés, d’où son absence du calendrier des jours de marché actuels.

Habitués à ce qu'une place de marché ait son jour spécifique, les autochtones virent dans le marché quotidien une nouveauté. Pour eux, une place de marché quotidien n'était rien d'autre qu'une place sans jour spécifique. A leurs yeux, Sɔgɔɖɛyɩ était devenu une place sans jour (sous-entendu sans jour propre), d'où le qualificatif de /ɖɩ da wɩrɛ/ ‘lui-sans-jour’, expression prononcée [ɖɩdawʋrɛ] et retranscrite officiellement en Didauré ou Didaouré.

Pour emporter définitivement l’adhésion du lecteur à la thèse, un dernier point reste à éclaircir. Le Tem est une langue à genres où le pronom (en l’occurrence ‘lui’ de ‘lui-sans-jour’) doit s’accorder en genre et en nombre avec le nom dont il est le substitut. Dans la traduction tem de l’expression (ɖɩ da wɩrɛ) le pronom ɖɩ est accordé à un nom de genre ɖɩ. Quel est ce nom ?

Les noms susceptibles d’être représentés par un pronom dans ‘lui-sans-jour’ sont kɩyɛkʋ ‘marché’, ɖɩdaarɛ ‘place’ et Sɔgɔɖɛyɛyɩ le nom propre de la place. Le nom commun kɩyɛkʋ appartient au genre kɩ, en témoigne la marque d’accord kɩ du démonstratif na ‘ce...ci’ dans kɩyɛkʋ kɩ-na ‘ce marché-ci’. Tout nom propre qui ne renvoie pas à un être humain est rangé dans le genre kɩ ; Sɔgɔɖɛyɩ en est un. Il est donc dans le même genre que kɩyɛkʋ, en témoigne la marque d’accord kɩ du démonstratif na dans Sɔgɔɖɛyɩ kɩ-na ‘ce Sokodé-ci’. La marque d’accord du démonstratif na dans l’expression ɖɩdaarɛ ɖɩ-na ‘cette place-ci’ montre que le nom commun ɖɩdaarɛ 'place' appartient au genre ɖɩ. C’est donc lui qui est représenté par le pronom ɖɩ dans l’expression ɖɩ da wɩrɛ. IL faut comprendre que pour le Tem, le marché c'est d'abord l'espace qui lui est réservé, espace dont on facilite la désignation à l'aide d'un nom propre.

La preuve est ainsi faite : Đɩdawʋrɛ qu’on peut traduire ‘place-sans-jour spécifique’ par la négative ou ‘place quotidienne’ par la positive, est bien une qualification de Sɔgɔɖɛyɩ en tant que place de marché. Chronologiquement, le nom Đɩdawʋrɛ est postérieur au nom Sɔgɔɖɛyɩ, d’abord parce un qualifiant ne peut précéder son qualifié, ensuite parce que c’est à la suite d’un événement historique que la périodicité de la tenue du marché à Sɔgɔɖɛyɩ a changé, passant de l’hebdomadaire au quotidien.

Concluons …

… par un résumé :
La question de départ vient d’avoir sa réponse. Oui, le chef-lieu de la Préfecture togolaise de Tchaoudjo porte bien deux noms. Ces noms se complètent en tant que qualifié et qualifiant.

Sɔgɔɖɛyɩ était l’une des sept places où se tenaient à tour de rôle les marchés en territoire tem. C’est lorsqu’une communauté musulmane composée de commerçants et d’artisans, les Malʋwa, a été accueillie et installée près de Sɔgɔɖɛyɩ que la place de marché a perdu son rythme hebdomadaire au profit d’un rythme quotidien. Sɔgɔɖɛyɩ est ainsi devenu un marché sans jour spécifique, un Đɩdawʋrɛ comme l’on l'a qualifiée depuis. Dès lors, la place de marché a été tributaire de deux formes de désignation, celle de son nom propre, Sɔgɔɖɛyɩ et celle de sa qualité, Đɩdawʋrɛ.

… sur l’origine de Sɔgɔɖɛyɩ et Đɩdawʋrɛ :
Đɩdawʋrɛ, on le sait maintenant, est une locution proprement tem, faite d’un pronom sujet de genre ɖɩ, d’un verbe auxiliaire de négation, ta et du nom wɩrɛ désignant la notion de jour. Quant à Sɔgɔɖɛyɩ, on a vu que bien qu’il résulte d’une composition nominale à la tem, sa forme finale -ɛyɩ et le paradigme auquel celle-ci le rattache fait de lui un nom d’origine étrangère. La langue d’emprunt ne peut être que le Gurma, langue d’origine des Mola, eux qui, en tant Maîtres du royaume, avaient à charge de nommer les lieux qu’ils créaient sur les terres conquises par eux. En attendant les recherches pour confirmation sur l’origine gurma de Sɔgɔɖɛyɩ, on retient que Đɩdawʋrɛ est d’origine tem tandis que Sɔgɔɖɛyɩ est d’origine étrangère.

… sur l’accaparement culturel des deux noms :
L’expression qualifiante Đɩdawʋrɛ étant apparue avec l’installation des Malʋwa, l’agglomération que ceux-ci ont construite sur place a adopté ce qualifiant comme nom propre. Depuis l’ancienne place de marché pouvait être repérée soit par rapport au nom originel Sɔgɔɖɛyɩ, donc à la place, soit par rapport au qualifiant Đɩdawʋrɛ, donc au village malʋwa. Au fil du temps le qualifiant-nom, Đɩdawʋrɛ, a commencé à prendre, aux yeux de tous (autochtones comme allogènes) la couleur culturelle du malʋwa, au point d’induire en erreur des chercheurs aussi chevronnés que Barbier et Klein qui ont vu derrière le nom désormais propre de Đɩdawʋrɛ un nom commun désignant tout ghetto musulman dans un milieu non islamisé. A cause peut-être de cette coloration culturelle, les populations autochtones et l’Autorité royale sont restés attachés au nom premier de la place, Sɔgɔdɛyɩ épargné par l’inculturation malʋwa. L’Autorité traditionnelle étant celle avec laquelle l’Autorité administrative négocie pour tout arrangement en faveur d’une cohabitation pacifique entre administrateurs et administrés, le nom du lieu qui a été donné à l’Administration pour désigner la nouvelle cité a été celui pratiqué par l’Autorité royale, à savoir Sɔgɔdɛyɩ. C’est pourquoi pour l’état civil, le chef-lieu de la Préfecture est Sokodé (transcription de Sɔgɔɖɛyɩ). Ainsi deux civilisations se sont accaparées chacune un des deux noms du marché tem : la communauté musulmane s’est appropriée Đɩdawʋrɛ tandis que l’Administration, elle, a adopté Sɔgɔɖɛyɩ.

… sur le calendrier hebdomadaire tem :
Toute civilisation pratique une division du temps, une division imposée par le cycle des saisons, celui de la lune et celui du soleil. Grâce à ces cycles on a partout les notions d'année, de mois et de jour. Mais comme rien de naturel n’impose le découpage en semaine, certaines civilisations ignorent cette notion. Celles qui l'ont sont celles qui l'ont créée à partir de l'organisation journalière de leurs activités ou d'autres faits culturels tels que la dation des noms propres aux enfants selon leur rang de naissance. Une semaine créée dans ces conditions ne peut compter le même nombre de jours partout. Au sein d'une même civilisation le nombre de jours de la semaine peuvent varier avec le temps. C'est cas de la semaine tem. Basée sur le cycle des marchés, elle comptait sept jours; elle est passé ensuite à six lorsque l'une des places de marché a été sortie du cycle hebdomadaire.

La nécessité d'une harmonisation internationale du découpage du temps en semaine a imposé la semaine sémitique, une semaine de sept jours. Celles des civilisations qui ignoraient la notion de semaine l'ont purement et simplement adoptée. Celles qui disposent d'une semaine l'ont adaptée avec, éventuellement, des réaménagements consistant par exemple à soustraire ou à rajouter un jour. Le calendrier tem a accueilli la semaine de sept jours au moment où son propre calendrier ne comptait plus que six jours. On a dû en rajouter un jour. C'est l'œuvre de Robert de Creaene et Tchagbara L. Soli N’gobou qui, dans un livret de 10 pages intitulé Đaatɩ Kalandriyee élaboré à Sokodé en 1995, ont créé un jour de marché fictif appelé ɭsɔɔwaazɩɩna wɩrɛ correspondant à jeudi. Ils ont, d’autre part, fait correspondre Kejika wɩrɛ à dimanche, Kudongoli wɩrɛ à lundi, Kalamaazɩ wɩrɛ à mardi, Sɛgbɛdɛyɩ wɩrɛ à mercredi, ɭsɔɔwaazɩɩna wɩrɛ à jeudi, Soomi wɩrɛ à vendredi et Kpaarɩ wɩrɛ à samedi.

Maintenant qu’on sait qu’il a existé une septième place de marché qui servait à une septième séance de marché pourquoi ne pas la réintégrer dans la semaine tem actuelle à la place du jour fictif ? On aurait Sɔgɔɖɛyɩ wɩrɛ au lieu de ɭsɔɔwaazɩɩna wɩrɛ.

Au cas où il est adopté, on n'oublie pas que Sɔgɔɖɛyɩ wɩrɛ est le marché de la capitale régionale. On a tout avantage à le faire correspondre à l’actuel marché hebdomadaire de Sokodé qui a lieu les lundis. Par ailleurs, la ressemblance formelle entre les noms Sɔgɔɖɛyɩ et Sɛgbɛdɛyɩ et la proximité des places de marché qu’ils désignent devraient inciter à faire suivre Sɔgɔɖɛyɩ wɩrɛ de Sɛgbɛdɛyɩ wɩrɛ.

Le calendrier hebdomadaire connaîtrait alors la succession suivante : Sɔgɔɖɛyɩ wɩrɛ pour lundi, Sɛgbɛdɛyɩ wɩrɛ pour mardi, Soomi wɩrɛ pour mercredi, Kpaarɩ wɩrɛ pour jeudi, Kejika wɩrɛ pour vendredi, Kudongolí wɩrɛ pour samedi et Kalamaazɩ wɩrɛ pour dimanche.

Travaux publiés par le professeur Zakari Tchagbalè, Docteur en Linguistique.

vendredi 19 novembre 2010

Ouro, d'où viens-tu ?

Quand on s’intéresse à une langue, que ce soit d’un point de vue professionnel (linguiste, grammairien, etc.) ou par jeu (griot, poète, tout esprit curieux), il est des mots qui, comme un aimant, attirent l’attention par leur forme peu ordinaire et/ou sujette à interprétation. En Tem, nombreux sont les mots de ce type. On a déjà examiné ici même et ailleurs (http://kotokoli.blog.free.fr) le cas des mots Tchaoudjo et Kotokoli. Mais il y en a d’autres qui, bien que de forme non canonique, passent pour des mots ordinaires et n’attirent l’attention que du seul initié. C’est le cas du mot Ouro qui est d’un emploi tellement fréquent qu’il passe pour le mot le plus ordinaire de la langue. Il est fréquent dans les patronymes tem (Ouro-Sama, Ouro-Koura, Ouro-Bodi, Ouro-Djobo, etc.) ; il est fréquent dans les jurons (na Ʋsɔɔ Ouro kʋbɔnɩ ‘par Dieu Tout-Puissant !’) ; il sert à désigner l’Autorité suprême du village ou du royaume. De plus, à la différence des mots tels que Tchaoudjo ou Kotokoli, le mot Ouro est objet de dérivation, démontrant qu’il a acquis les propriétés du mot ordinaire : de lui dérivent, en effet, les mots kewurɔɔ ‘règne, royauté’, aworonbu ‘prince éligible’, aworonbiidi ‘qualité de prince éligible’, awuraanaa ‘assemblée des princes (par opposition à celle des religieux, alfaawa)’, malʋwuro ‘autorité politique des Malʋwa’. Mais, comment traduire ce mot dans la présente langue de travail, le français ? Comment expliquer ce double statut de mot d’emprunt et de mot d’origine qu’a Ouro ?


Un problème de traduction
La population d’un village tem est organisée de manière hiérarchique, une hiérarchie à laquelle s’est adapté l’habitat. L’unité familiale est faite de plusieurs familles issues d’une même fratrie. Des frères et leurs familles respectives se regroupent au sein d’une concession. Celle-ci est faite de plusieurs cases rondes (mur en banco et toit de paille) disposées en cercle autour d’une cour intérieure appelée tɔɔ (pl. taazɩ). L’une des cases est plus grande que les autres : c’est la case d’entrée et sortie de la concession. Elle constitue le salon de la concession : lieu de réception, de réunion ; elle loge aussi le ou les chevaux de la concession. Cette pièce est appelée ɖugore (pl. ago). Elle donne son nom à l’ensemble de la concession.

Les ago sont, à leur tour, disposés en cercle autour d’une cour commune protégée en son centre par un arbre ombrageux qui sert de lieu de concertation des adultes et d’aire de jeu pour les enfants des dits ago. La cour commune est appelée wanɔɔ (pl. wanasɩ). Le wanɔɔ donne son nom à l’ensemble des ago qu’il regroupe. Chaque wanɔɔ est dirigé par un responsable, généralement l’aîné des responsables de concession. Selon sa taille, un village peut compter jusqu’à une vingtaine de wanasɩ. Le village est sous la direction de l’un des wanasɩ à travers l’un des responsables de ɖugoré. Celui-ci est désigné par le terme de Ouro. Son rôle est d’assurer la sécurité du village, de rendre justice, d’intervenir auprès des mânes des ancêtres pour garantir le bien-être à la population villageoise. On est Ouro à vie.

Comment le Ouro tel que décrit peut-il se traduire en français ? Tout bilingue connaît la difficulté de traduire un mot par un autre même quand l’objet désigné est le même. Soit le cas de l’animal qu’on appelle ɖeere en pays tem. Son équivalent en France est le cheval. On pourrait donc être tenté de dire que ɖeere se traduit par cheval en français. Ce faisant on ne procède que par approximation car le contenu sémantique de ɖeere et celui de cheval ne se correspondent pas totalement. Quand on parle de ɖeere, en pays tem on pense à la classe des nobles qui a le droit de posséder un cheval ou au guerrier ; tandis qu’en France cheval évoque les écuries, les concours hippiques, le tiercé. Voilà une première difficulté.

Une deuxième difficulté de traduction intervient lorsque les réalités ne sont que semblables et qu’elles comportent des différences notables : dans le domaine de l’Autorité, par exemple, on peut être Ouro pour un village ou pour un ensemble de villages tandis que dans l’Europe féodale on est seigneur sur un morceau de territoire et roi pour l’ensemble du territoire. Traduira-t-on Ouro par roi et/ou par seigneur ?

Dans le cas spécifique de Ouro, deux difficultés supplémentaires surviennent avec le contexte sociopolitique. Le besoin de traduire dans une langue européenne les termes désignant les autorités africaines est apparu pour la première fois avec l’occupation de l’Afrique par l’Europe. Ce besoin a connu deux phases, la phase diplomatique et la phase politique.

La phase diplomatique n’a existé que pour les territoires qu’on occupait par négociation. Le représentant du pays colonisateur négociait un « traité de protectorat » avec l’Autorité africaine en place. Pour rendre « crédible » son traité, l’« explorateur » avait alors intérêt à attribuer à son interlocuteur les titres les plus honorifiques. C’est ainsi que pour Gustav Nachtigal, agissant pour le compte du roi de Prusse, Efyɔ Mlapa III de Togoville a équivalu à Roi Mlapa III dans le pacte concédant le Togo à l’Allemagne.

Mais dès que l’Administration coloniale eut pris le pouvoir en tant qu’autorité unique de la colonie, le traitement des différents « rois » présents ici et là sur le territoire prit une autre allure. L’ancienne autorité locale ne fut plus une autorité avec laquelle on devait traiter d’égal à égal ; ce fut désormais une autorité soumise, donc vidée de son ancien contenu. La traduction des termes Efyɔ, Ouro et autres du même type prit un caractère politique empreint d’humiliation. Désormais on parlera de chef de village, de chef traditionnel, de chef de canton, bref de chef et non plus de roi.

Il est important de bien appréhender le sens premier de chef pour comprendre celui que ce mot a dans l’usage qu’en fait l’Administration coloniale. Chef vient du latin caput ‘tête’. C’est pourquoi on parle de couvre-chef pour désigner toute forme de coiffe qui couvre la tête. Le terme chef suppose deux réalités : un groupe de personnes au sein duquel la personne qui sert de porte-parole ou qui commande les autres est appelé chef et une autorité supérieure à laquelle obéit le chef. On est chef à la fois pour son groupe et pour son supérieur. C’est pourquoi ce terme est abondamment pratiqué dans l’armée. Le chef est chef de file de son groupe mais aussi un chef soumis à une autorité supérieure. Quand l’Administration traduit Ouro par chef, elle veut dire que l’autorité de celui-ci sur ses sujets est celle que lui concède l’Administration à laquelle lui-même est soumis. D’une certaine manière l’Administration n’a pas tord de traduire Ouro par chef car le contenu qui faisait de Ouro un roi est désormais vidé. Autant le Ouro-roi était un Ouro autonome et perçu comme autorité suprême par ses sujets, autant le Ouro-chef est le Ouro dépendant et sans autre autorité que celle que lui concède l’Administration.

La réponse à la question de savoir quelle traduction (Ouro-roi ou Ouro-chef) il convient d’adopter relève du domaine de recherche. Si le chercheur décrit la réalité sociologique née après la colonisation, il est obligé de traduire Ouro par chef ; mais s’il est intéressé par les réalités sociologiques d’avant la colonisation, c’est le cas de la recherche étymologique qui fait l’objet du présent article, il devra traduire Ouro par roi. C’est notamment sous cet angle qu’il pourra mieux expliquer la présence de Ouro dans les patronymes.


Ouro dans les patronymes
La société tem, celle d’aujourd’hui comme celle d’hier, est une société où le culte de l’honneur est très présent. Quand un homme adulte se prénomme Boukari, il est rare que l’on l’appelle Boukari tout court ; on lui fait l’honneur de l’appeler Malam Boukari s’il sait lire et réciter le Coran, Alfa Boukari si, en plus de savoir lire et réciter le Coran, il l’enseigne. On l’appellera El Hadj Boukari s’il a effectué un pèlerinage aux lieux saints de l’Islam. Même quand il ne sait ni lire ni réciter le livre saint, l’on le désignera quand même par Malam Boukari. Ce culte de l’honneur n’est pas limité au seul cadre religieux. Celui-ci n’est que l’héritier du culte de l’honneur qui prévalait à l’époque préislamique. Quand on s’appelait Agoro et qu’on devenait roi, on était appelé automatiquement Ouro Agoro. Mais on pouvait être Agoro et, sans être roi, se voir appeler Ouro Agoro, à titre purement honorifique.

Il faut rappeler que des noms comme Agoro, Sama, Bodi ou Nilé ne sont pas donnés à la naissance. Ce sont des noms que l’homme adulte se donne lorsqu’il a atteint l’âge de la sagesse. En soi, Agoro, Sama, etc. sont des noms honorifiques en tant que noms de Sages. Celui qui est Agoro et qui faisait la preuve d’être un bon père de famille, on associait son nom au titre honorifique de Tcha ‘père’ et il devenait Tcha Agoro. Si, en plus d’être bon père de famille il gérait harmonieusement une famille nombreuse, on associait son nom au titre honorifique de Ouro parce qu’on supposait que s’il sait gérer une famille nombreuse, il doit être capable de devenir roi ; il devenait alors Ouro Agoro. On peut donc être Ouro Agoro en vrai ou Ouro Agoro honoris causa.


Malentendu sur le sens de Ouro Esso
Les villages tem, notamment ceux de la Préfecture de Tchaoudjo sont constitués en royaume, le royaume de Tchaoudjo. Chaque village du royaume a, à sa tête, un Ouro. Le royaume lui-même a, à sa tête, un Ouro appelé Ouro Esso. Esso désignant dieu, certains ont vu dans ce mot une association de l’autorité de Ouro à celle de Dieu et ont traduit Ouro Esso par « chef divin » ou « chef-dieu ». Dans leur « Histoire traditionnelle des Kotokoli et des Bi-Tchambi du Nord-Togo » (Bulletin de l’IFAN, T. XXII, sér. B, nos 1-2, 1960, pp. 211-233), J-C Froelich et P. Alexandre, en pages 222 et 223 notamment, ont été les premiers à traduire Ouro Esso par « chef divin ». Dans une étude qu’il signe seul (« Organisation politique des Kotokoli du Nord-Togo » dans Cahiers d’études africaines, 1963, vol 4, n° 14, pp. 228-274), Pierre Alexandre, page 248, réitère l’interprétation qu’il a préalablement partagée avec J-C Froelich : l’expression Ouro Esso équivaut sous sa plume à « Chef-Dieu ». Cette interprétation a servi de point de départ à deux formes de spéculation. La première forme croit découvrir à travers « chef-dieu » une certaine « pensée politique kotokoli ». Elle est formulée par Jean Claude Barbier et Bernard Klein dans leur ouvrage intitulé Sokodé, ville multicentrée du Nord-Togo, une publication numérique (http://books.google.fr). A la page 22 de l’ouvrage, les auteurs écrivent, parlant du pays tem :

« La chefferie politique englobe plusieurs quartiers et se présente comme un village, naguère fortement aggloméré. Elle peut ainsi englober des quartiers distincts les uns des autres (cas d’Adjéidê et de Dawdê), voire plusieurs villages. Dans ce dernier cas, on peut parler de chefferie suprême pour indiquer que le chef politique coiffe d’autres chefs de village. La pensée politique kotokoli l’entend bien ainsi puisque, dans certains cas, le chef n’est pas appelé « uro » (ou « wuro » selon les prononciations), mais ladjo à Bafilo, yérima à Dawdê, uro-îsôô (ni plus ni moins que « chef-Dieu » !) au Tchawûûdjo ».


La seconde forme de spéculation veut tirer profit de la traduction « chef-dieu » pour grandir l’image de marque du royaume tem. Pour elle, le roi des rois tem tutoierait le dieu du ciel (!) au même titre que les rois de droit divin de France ou les Pharaons d’Egypte. Cette spéculation transparaît dans un article intitulé « Chefferie traditionnelle, un pan de la culture tém » et publié sur le site de Togo Culture Plus (http://www.togocultureplus.com/leiten14.html) à la rubrique Histoire tem. L’auteur, Affoh Akpo, fait sienne la traduction « chef-Dieu » pour Ouro Esso. Il dit refléter le point de vue de ce qu’il appelle le « Trône de Komah ». Mais l’orthographe utilisée pour transcrire les mots « uro-îsôô » et de « Tchawûûdjo » trahit une lecture fraiche de l’œuvre de J. C. Barbier et B. Klein.

Aucune des deux formes de spéculation ne résiste face au vrai sens de Ouro Esso. Le roi des rois n’est pas divin pour un sou. Pour le prouver il suffit de faire prévaloir deux arguments, l’un anthropologique, l’autre linguistique.

La référence à dieu de la traduction « chef-dieu » nous oblige à faire un détour sur les croyances des Tem à l’époque préislamique. Les Tem croient en trois types d’êtres surnaturels : dieu (ʋsɔɔ), les génies (alewɔɔ) et les ancêtres (adɛdɩnaa). Ʋsɔɔ est unique et céleste ; il est le créateur de la terre et des êtres qui y vivent ; mais pareil à une mère qui donne la vie à des petits et les abandonne à leur sort, Ʋsɔɔ ne s’occupe pas du sort de ses créatures. Quatre preuves attestent ce point de vue : 1) On pourrait considérer que le pouvoir de faire venir ou de chasser la pluie appartient à Ʋsɔɔ ; pour les Tem ce n’est pas le cas ; pour appeler la pluie ou la faire cesser, ils ont recours à des hommes détenteurs du pouvoir de la pluie hérité de leurs ancêtres ; 2) Parmi les nombreux cultes et sacrifices que les Tem vouent aux forces surnaturelles, aucun n’est dédié à Ʋsɔɔ ; 3) Le Ouro Esso lui-même ne fait l’objet d’aucune adoration ; bien au contraire c’est lui qui sert en tant prêtre en chef lors des cultes rendus aux forces surnaturelles ; 4) Aucune des formules de salutation et de vœux de l’époque préislamique ne fait référence à Ʋsɔɔ.

Dans sa perspicacité d’anthropologue, P. Alexandre, 1963 a bien noté le fait qu’il n’existait pas une cérémonie d’adoration destinée ni à Esso, ni à Ouro Esso ; il a fort bien remarqué que lors des cérémonies d’une certaine envergure c’est le Ouro Esso qui servait les divinités. Il trouvait donc bizarre que le titre de Ouro soit associé à Esso en tant que divin. Le seul argument qui lui manquait pour renoncer à sa traduction « chef-dieu » était linguistique.

Ʋsɔɔ (Esso) désigne dieu, cela est vrai, mais le même terme désigne le ciel, le domaine de dieu. Ʋsɔɔ, ‘ciel’ et tɛɛdɩ ‘terre’sont deux espaces qui se trouvent opposés l’un à l’autre sur l’axe vertical ; à ce titre ils vont servir de point de repère dans le système tem de l’orientation. Ʋsɔɔ-daa ‘ciel-dans’ va servir à repérer le haut tandis que adɛ ‘par terre’, construit à partir de la racine tɛ de tɛɛdɩ, sert à repérer le bas. En clair, derrière le mot ʋsɔɔ, on peut avoir affaire à dieu ou au système de repérage. Et comme dieu est pratiquement absent de la vie courante, il y a plus de chance que ce soit pour repérer le haut. Soit le patronyme Esso (Ʋsɔɔ). Renvoie-t-il au divin ou au repère spatial ? Esso (Ʋsɔɔ) n’est que l’abréviation de Ʋsɔɔgbaarɩ (originellement Ʋsɔɔgbaarʋ) composé comme suit : ʋsɔɔ-kpaa-r-ʋ où ʋsɔɔ peut renvoyer à dieu ou à l’espace-ciel, où kpaa renvoie au verbe monter/grimper, où r est un dérivatif d’agent et ʋ le suffixe du genre des humains. La construction se laisse traduire par ‘celui qui monte vers le ciel’. Ʋsɔɔ (pour le garçon) et Ʋsɔɔgbaarɩ (pour la fille) désignent le bébé qui sort par le bassin lors de son accouchement. Dans cette position peu fréquente de sortie, le bébé a la tête tournée vers le haut ; voilà pourquoi il est surnommé « celui qui monte vers le ciel ».

L’abréviation de Ʋsɔɔgbaarɩ en Ʋsɔɔ prouve que le mot Ʋsɔɔ peut exister seul avec le sens de repère spatial. Il est donc probable que le Esso de Ouro Esso résulte du même procédé d’abréviation d’une formule plus complète qui pourrait être Ʋsɔɔgbaarɩ ou Ʋsɔɔdaanɩ (ʋsɔɔ-daa-n-ʋ) ‘celui d’en haut’. La traduction correcte de l’expression Ouro Esso est donc ‘roi supérieur’ ou ‘roi des rois’.


Transcription et prononciation
Les sommets de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) se suivent et se ressemblent par leur contenu : démocratie, développement, coopération. Ils semblent avoir oublié que ce qui a servi de prétexte à la création de l’organisme est la langue française que les pays associés ont en partage. Ils semblent avoir oublié le sommet de Dakar qui a recommandé la promotion des langues partenaires du français de l’espace francophone et particulièrement les langues africaines. Or la tâche urgente à accomplir dans le sens à l’égard de ces dernières est une œuvre de réparation. En effet, pour diverses raisons (limites de l’alphabet français, mauvaise perception des mots africains, fantaisie orthographique, etc.) le français a déformé bien des mots africains, notamment les noms propres. Les patronymes Jalɔ, Ñaŋ, Cam, sont retranscrits Diallo, Niang et Thiam et désormais prononcés di-a-lo, ni-ang et ti-am. Les toponymes Kpalimɛ, Kparataawʋ, Sɔgɔɖɛyɩ, sont retranscrits Palimé, Paratao, Sokodé et désormais prononcés selon la norme française. La tâche de réparation devrait consister à confectionner un dictionnaire où tous les mots africains déformés par l’orthographe française devraient retrouver la bonne transcription selon l’Alphabet phonétique internationale en vue de restituer la bonne prononciation. Ma plaidoirie ne vise pas seulement la restitution légitime de l’identité du mot africain ; elle vise aussi un but scientifique. La graphie française oriente le plus souvent le chercheur-étymologiste des mots africains sur de fausses pistes. Le mot Ouro dont il est question ici en sera une illustration.

Selon l’orthographe française le groupe de lettres -ou- représente soit la consonne w soit la voyelle u. Le premier des trois -ou- de Ouagadougou (wagadugu) est la consonne w, tandis que les suivants représentent la voyelle u. Le -ou- de Ouro est-il une voyelle ou une consonne ? Le l’ de l’expression « l’Ouro Esso de Tchaoudjo » qui revient souvent sous la plume de Pierre Alexandre et de Jean-Claude Froelich, 1960 prouve que ce -ou- est une voyelle. Si l’on se fiait à cette graphie dans la recherche de l’origine de Ouro, on devrait admettre ce mot est de schème VCV, plus précisément ʋro. Structurellement la voyelle initiale d’un tel mot serait un affixe à l’instar du ʋ de ʋrʋ ‘personne’. Le radical affixé serait donc ro. Le mot parent ou d’origine dans une autre langue ne peut qu’avoir le même schème et, en particulier un radical monosyllabique à l’image de ro de uro. Voilà la piste de recherche que suggère la transcription française Ouro.

Avant de nous engager dans cette voie, vérifions d’abord si uro est la bonne prononciation en Tem. Quelle que soit la région tem et quel que soit l’âge du locuteur Ouro se prononce invariablement wuro. Cette forme wuro finit par un coup de glotte comme un mot d’emprunt. Ce qui suppose qu’il est dépourvu d’affixe et qu’il est un radical et, contrairement à ce que suggère la graphie française, un radical de schème CVCV. S’il y a à rechercher son pareil ou son origine dans une autre langue il faudra n’envisager qu’un mot de radical CVCV. La correction de la transcription tenant compte de la prononciation autochtone rend fausse la piste suggérée par la graphie française du mot Ouro.


Origine de wuro
On l’a dit plus haut, wuro a tout d’un emprunt. Il est dépourvu de suffixe et forme son pluriel, comme tous les emprunts, avec le marqueur de pluriel neutre wa : wuro wa ‘rois’. Ce statut de mot d’emprunt pose quand même problème : Comment la royauté qui n’est pas une institution inventée sur place pour répondre à certains impératifs (donc non empruntée) peut-elle être désignée par un mot d’emprunt ? Comment wuro, s’il est un emprunt, peut-il donner lieu à autant de mots dérivés tels que mentionnés plus haut ? Si wuro était un emprunt, quelle en serait la langue prêteuse ? Pour répondre à ces questions il convient de faire, préalablement, un bref rappel de l’histoire du peuplement de la région de Tchaoudjo, territoire du royaume du même nom.

La population aborigène, les Tem, une fraction des Gurunsi de l’est aussi occupait les monts Koronga et Alédjo derniers refuges contre la chasse aux esclaves. Descendus de Tabalo, village de première installation des Mola d’origine gurma dans les monts Malfakassa, sept frères Mola vinrent s’installer au nord des plaines, faisant dos aux monts Alédjo et Koronga, donc aux populations tem. Ils nourrissaient le projet de pacifier les plaines et de les occuper pour y pratiquer l’agriculture. Héritiers de Généraux de guerre de Sonni Ali Ber ils mirent au point une stratégie consistant à créer des villages-fortifications, chaque village étant dirigé par un des frères en tant que wuro, à mettre en commun leurs forces pour attaquer ou se défendre. Une telle organisation demandait un commandement en chef, d’où l’idée d’un commandant en chef tournant, le Wuro Ʋsɔɔ. C’est le point de départ de la construction du futur royaume de Tchaoudjo.

La construction du royaume ayant ainsi été à l’initiative des Mola, c’est auprès d’eux qu’il faut chercher l’origine du mot qui va servir de titre pour le commandant d’une fortification ainsi que pour le commandant en chef. Emigrés du pays Gurma, les Mola devaient parler une variété de la langue Gurma. Il se trouve que les Mola ont très vite abandonné leur langue pour celle des aborigènes gurunsi, le Tem. Mais leur langue n’a pas disparu sans laisser de traces en Tem, notamment quand il s’agit de nommer des réalités nouvelles jusque-là étrangères à la langue des autochtones. Le mot wuro peut donc être issu du parler Gurma des Mola. L’hypothèse serait renforcée si le pays Gurma d’où viennent les Mola, connaissait, lui-même, la royauté.

D’après un document publié dans le Journal de la Société des Africanistes (1932, vol 2, n° 2-1, pp. 35-47) sous le tire « Documents ethnographiques sur le Gourma » et sous-titré « Recueillis en 1907, par M. l’administrateur des Colonies Maubert, Chef du cercle de Fada N.Gourma » dont l’auteur est Henri Menjaud, le pays Gurma est bel et bien organisé en royaume. Le premier roi des Gourma dont on se souvienne s’appelle Djabalompo. Selon la légende recueillie par Menjaud, il était descendu du ciel

« à l'époque où les pierres n'étaient pas encore solidifiées, il prit terre sur un bloc de grès, près de Tambarga : il était vêtu de blanc, à ses côtés se tenait sa femme. On montre encore l'empreinte des pieds, des mains et des coudes de la femme prosternée, ainsi que celle du sabre que le roi posa près de lui ».


Le roi Yendabré sous le règne duquel les Mola et d’autres clans gurma ont émigré serait le 15e de la dynastie, selon Menjaud.

L’organisation sociopolitique du pays gurma étant la royauté, il est évident que la langue gurma possède un mot pour désigner le roi. De fait, le roi gourma était appelé mbaro. Cette désignation recueillie en 1911 diffère à peine de celle que nous avons recueillie nous-mêmes le 14 octobre 2010 à Abidjan auprès de Mathias, un jardinier d’origine Gourma (de Fada). Selon le jeune locuteur analphabète, le roi est appelé obaɖo et il précise, pour bien se faire comprendre à travers un français mal assuré : « o gurma baɖo, c’est roi des Gourma » et « o Fada baɖo, c’est roi de Fada ». On a donc deux désignations : mbaro (1911) et obaɖo (2010). Entre les deux il y a un espace temporel d’un siècle ; cela seul peut justifier la différence de forme des deux mots. Un autre facteur, non vérifiable, pourrait être la variété dialectale. Le pays gurma est un vaste territoire ; il n’est donc pas exclu l’existence de dialectes pouvant justifier la différence de prononciation ou même de grammaire sur le même mot.

Les précisions fournies par Mathias permettent de deviner la structure grammaticale de obaɖo : o est un préfixe ; on sait que l’affixe de genre gurma a tendance à embrasser le radical assurant à la fois le rôle de préfixe et de suffixe. Si o est préfixe et que la voyelle finale est aussi o, il est fort probable que les deux voyelles o soient un seul et même affixe embrassant. Le radical doit donc être baɖ (o-baɖ-o). Toutefois, le traitement que peut réserver une langue emprunteuse à un mot à emprunter comme obaɖo, peut ne pas respecter la structure grammaticale d’origine. La langue emprunteuse peut éliminer le o initial de obaɖo et garder le o final. La forme empruntée pourrait alors être baɖo. Ce traitement serait encore plus vraisemblable avec la variante mbaro où la forme du préfixe (m) car, ici, o final face au m initial est moins perçu comme un suffixe. Les formes baɖo et baro sont, de toute évidence, des variantes parce qu’aux plans phonétique et phonologique, les consonnes ɖ et r sont généralement des variantes.

Peut-on établir un rapport génétique entre baɖo/baro gurma et wuro tem ? D’un côté comme de l’autre on a affaire à des mots de schème CVCV ; de plus la dernière syllabe du schème (ro) est la même des deux côtés. On peut même dire que wuro tient plus de la variante baro que de la variante baɖo à cause de la consonne de la syllabe finale. Mais la parenté génétique entre wuro et baro ne peut être définitivement établie que lorsqu’on aura expliquer la non-identité des syllabes initiales des deux mots.

Entre la voyelle a de ba gurma et la voyelle u de wu tem il n’y a aucune parenté, ni phonétique ni phonologique. Y en a-t-il une entre les consonnes b et w des mêmes syllabes ? La question n’intéresse que la langue Tem, car c’est à elle de prouver qu’elle a la capacité de convertir le b gurma en w. Il faut qu’il existe en Tem des cas où b se transforme en w. le fait est que cette situation existe : l’affixe ba qui sert de pronom ou de marqueur de pluriel des noms de genre humain peut voir sa consonne se transformer en w.

On sait qu’en Tem le marqueur de pluriel du nom est propre à chaque genre. Au genre ka correspond le marqueur de pluriel sɩ ; au genre ʋ correspond le marqueur de pluriel ba. Quand un nom est dépourvu d’affixe de genre (cas du nom d’emprunt et du nom propre), son marqueur de pluriel est neutre. Le marqueur neutre est, malgré tout choisi parmi les marqueurs marqués par le genre. Le marqueur choisi est ba du genre ʋ des humains. Pour lui enlever la marque du genre humain, il est légèrement déformé : sa consonne b se transforme en w. Ainsi a-t-on wuro-wa ‘rois’, cɛɛcɛ-wa ‘bicyclettes’.

Le même marqueur ba, tout en maintenant sa marque de genre humain peut voir sa consonne ramenée à wa selon le contexte grammatical. La plupart des adjectifs tem (qualificatifs, indéterminés, numéraux) s’accordent en genre et en nombre avec le nom qu’ils déterminent. La marque d’accord présente dans l’adjectif est l’affixe du nom. Dans le cas de l’adjectif indéterminé /na r/ ‘autre, certain’, l’affixe s’intercale entre na et r. Si le nom déterminé est faazɩ ‘chiens’ dont l’affixe est sɩ, l’adjectif /na r/ sera /na sɩ-r/ prononcé nasɩrɩ : faazɩ nasɩrɩ ‘certains chiens’. Si le nom déterminé est ɩraa ‘personnes’ dont l’affixe est ba, l’adjectif /na r/ sera /na ba-r/ prononcé nɛbɛrɛ : ɩraa nɛbɛrɛ ‘certaines (ou d’autres) personnes’. Les adjectifs numéraux de ‘deux’ à ‘cinq’ se construisent de la même façon que l’indéfini : /na lɛ/ ‘deux’. Si le nom déterminé est faazɩ, l’adjectif /na lɛ/ sera /na sɩ-lɛ/ prononcé nasɩlɛ : faazɩ nasɩlɛ ‘deux chiens’. Si le nom déterminé est ɩraa ‘personnes’, l’adjectif /na lɛ/ sera /na ba-lɛ/ prononcé non pas *nɛbɛlɛ attendu mais nɔwɔlɛ : ɩraa nɔwɔlɛ ‘deux personnes’. Dans le contexte de la structure du numéral le b de ba se transforme en w.

Le Tem a donc une tradition dans la variation de b en w. L’hypothèse de la transformation de b de baro en en w de wuro est donc recevable.

Si b peut se transformer en w, il reste à expliquer l’apparition de u à la place de a dans la syllabe initiale (ba/wu) ? Nulle part en Tem on n’observe ni une variation ni une alternance entre a et u. Ce type de variation est également rare dans les autres langues du monde. Aucune hypothèse sur une éventuelle permutation entre le a gurma et le u tem n’est envisageable. Mais l’hypothèse d’une substitution de ba gurma par le seul w tem est possible.

Le ba gurma est, au plan phonologique, une syllabe dotée d’un noyau (la voyelle a) et d’une périphérie (la consonne b). Une syllabe peut ne comporter qu’un noyau. Dans ʋrʋ ‘personne’ par exemple, ʋ de ʋ-rʋ constitue une syllabe au même titre que rʋ, mais à la différence de celle-ci, l’autre est dépourvue de périphérie. La consonne w a la particularité de pouvoir être à la fois une périphérie en syllabe CV (par exemple, dans wu de wuro) et un noyau en syllabe V (par exemple, dans w de sɔwɖɛ ‘piquant’). Il n’est donc pas exclu qu’à la syllabe ba de baro gurma puisse se substituer une syllabe w en Tem. Autrement dit, le baro gurma a donné wro en Tem. Le reste n’est qu’une affaire de prononciation. La prononciation rapide donne wro ; mais avec un rythme plus lent, w peut avoir tendance à redevenir consonne et à prendre une voyelle épenthétique (de soutien) ; dans ce cas, les propriétés physiques de w ne peuvent générer que la voyelle u, d’où wuro. Autrement dit, le mot baro gurma a donné wro puis wuro enTem.


Conclusion
Au terme de ce parcours étymologique sur le mot Ouro (wuro), il est possible de tirer au moins quatre leçons.

La première concerne l’objet principal de la présente recherche, l’origine du mot wuro ‘roi’. Le problème qu’il posait et qui a attiré l’attention sur lui, c’est qu’il est trop populaire pour avoir une forme d’emprunt. On est parvenu à expliquer ce n’est un emprunt comme les autres ; c’est un legs offert au Tem par le parler gurma que les Mola ont abandonné au profit de la langue autochtone lors de la création du royaume tem. Des apports comme wuro, il doit en exister beaucoup, plus ou moins assimilés par le Tem. Je pense à un mot kokule ‘lutte sportive’ dont la construction ne répond pas aux normes du Tem mais qui est pourtant si intégré dans la langue qu’il est dépourvu du coup de glotte final qui caractérise les emprunts. La lutte sportive est apparue avec les Mola comme un entraînement des futurs combattants du royaume. Le nom de ce sport ne peut qu’être issu de leur parler disparu.

La deuxième leçon concerne les nombreux mots d’origine dendi-zarma qui peuplent le lexique tem. Déjà aujourd’hui ce n’est tout le monde qui sait que les mots baaba ‘père’, naana ‘mère’, bɛɛrɛ ‘aînée’ sont d’origine étrangère malgré la présence de leurs équivalents tem (manjaa ‘père’, mɔngɔɔ ‘mère’, mangaa ‘ma sœur aînée’, manɖawaalʋ ‘mon frère aîné’). Le jour où ceux-ci auront disparu au profit des emprunts, le problème que pose aujourd’hui wuro et kokule se posera pour ces nouveaux mots.

La troisième concerne le rapport entre la recherche étymologique et l’histoire du peuple locuteur. L’étude étymologique est une aventure vers le passé de la langue. Or généralement le passé linguistique a des rapports étroits avec le passé sociologique. L’étymologie, parce qu’elle est gérée par des règles scientifiques rigoureuses, constitue donc l’une des bases solides de la connaissance du passé des sociétés sans documents écrits que sont la plupart des peuples négro-africains.

La quatrième et dernière leçon à tirer est le bouclier que constitue l’étude étymologique contre toute forme de spéculation sur l’état d’esprit des sociétés africaines. On apprend combien il est imprudent de théoriser à partir des mots quand on ignore tout ou presque de la grammaire de la langue. La mise en évidence du vrai sens de l’expression Ouro Esso a permis de ramener celle-ci à des proportions plus humaines.

Travaux publiés par le professeur Zakari Tchagbalè, Docteur en Linguistique.

vendredi 20 août 2010

Principes des pratiques traditionnelles de coopération paysanne chez les tèm

La cohésion sociale, la volonté de s’entraider et la réciprocité sont des principes indispensables au fonctionnement des pratiques traditionnelles de coopération paysanne. Une société sans cohésion et des individus sans volonté de s’entraider font mourir l’entraide. Or, la disparition de ces pratiques mutualistes dans le cadre d’une agriculture de subsistance fait baisser de façon continue la productivité et le niveau de production agricole, entraînant ainsi par ricochet une pénurie alimentaire périodique et toujours plus accentuée. Car la pratique de l’entraide est justifiée par deux faits fondamentaux à savoir : l’incapacité de groupes à produire seuls les denrées nécessaires à leur survie et la nécessité sans cesse croissante de bien nourrir une population croissante.

Par ailleurs, il faut noter l’apparition, au sein de la communauté rurale, des besoins nouveaux obligeant les paysans à développer des stratégies diverses dont la création des groupes d’entraide en est une. Cette apparition des besoins nouveaux est liée à la juxtaposition d’une économie moderne à une économie de subsistance.

Tels sont les principes et les motivations qui fondent les pratiques traditionnelles de coopération paysanne. Ces pratiques ont des finalités et des fonctions auxquelles il faut bien accorder un intérêt.

La finalité principale de ces pratiques est l’accroissement de la production à travers l’extension des exploitations agricoles. Une bonne production garantie la sécurité alimentaire et la couverture des autres besoins élémentaires.

Ces pratiques sont facteurs de rapprochement des familles et des individus, de développement de l’esprit de solidarité et de participation dans le processus de production agricole.


Les types d’entraide

On dénombre quatre (4) formes d’entraide dans le domaine agricole. Ce sont : Alou n’dow Kigalaw, Kigalaw, kodjoria et Sina. Ces formes d’entraide se pratiquent généralement en saison pluvieuse, plus souvent, au moment des labours, confection de sillons, des butes, des billons.

Bref, pour tout dire sur ces pratiques, il convient de les présenter une à une.

Alou n’dow Kigalaw

Alou n’dow Kigalaw signifie littéralement entraide pratiquée pour une femme (épouse) C’est une sorte de prestation matrimoniale qu’un gendre organise et prend en charge en s’appuyant sur le réseau de relations familiales et amicales. Ainsi, sur la demande de son beau-père ou de sa belle-famille, le gendre mobilise les membres de sa propre famille et ses amis. D’abord, il les informe du moment, du lieu et du type d’activité à accomplir afin qu’ils puissent s’apprêter matériellement. Ensuite, il assure la nourriture des travailleurs pendant les travaux. Enfin il invite les griots pour la circonstance. Lui-même travailleur, le gendre doit faire preuve de bravoure et d’excellence. C’est surtout pour louer ses valeurs que le griot est là.

En somme, le gendre mobilise les ressources humaines et matériels nécessaires, s’occupe de l’organisation pratique des activités visées par l’entraide et veille à la réalisation de l’objectif principal de l’entraide. Cet objectif consistant à labourer une vaste étendue de l’espace pour produire au maximum.

Kigalaw

C’est une pratique d’aspect général. Par rapport aux autres formes, elle mobilise beaucoup plus de personnes. De ce point de vue, elle exige parfois un investissement financier pour suppléer à l’insuffisance de la fourniture alimentaire et matérielle.

Kigalaw est si souvent organisé par le chef de famille. Dans la pratique, celui-ci sollicite l’aide des gendres et des amis par le truchement des membres particuliers de la famille.Au cours des préparatifs, il fait parcelliser l’espace à cultivé, par un groupe restreint. Ces parcelles seront attribuées à chaque groupe constitué de travailleurs sollicités. Ici aussi la prestation d’un griot est indispensable pour décupler l’ardeur des travailleurs.

Kodjoria

C’est un contrat de travail. Il a généralement lieu entre deux paysans qui ont le même type d’activité à réaliser sur deux espaces de même dimension appartenant respectivement à l’un et à l’autre. Toutefois la distance séparant ces deux champs doit être raisonnable. Ainsi, les deux paysans travaillent alternativement dans le champ de l’un et de l’autre dans le respect des principes d’égalité et de réciprocité.

En dehors du fait que cette forme d’entraide se pratique par deux contractants, d’une façon particulière, elle peut aussi réunir plusieurs contractants ou faire l’objet d’une pratique entre familles.

Sina

‘‘Sina’’ signifie aide. Elle est sollicitée dans le cadre des travaux champêtres consistant à entretenir des espaces cultivés. Le défrichage, le désherbage et le sarclage sont les principales activités concernées. Dans ces cas précis, cette forme implique peu de travailleurs. Les travaux s’exécutent en des périodes de courte durée.

C’est aussi cette pratique qui a cour en période des moissons. Mais, cette fois-ci, c’est l’aide d’une multitude de personnes qui est sollicitée. En conséquence, le grand nombre aidant, le travail s’exécute rapidement.

En résumé, les deux premières formes sont relativement grandioses et générales. La toute première, Alou n’dow Kigalaw se fait maintenant rare, tandis que Kigalaw se pratique toujours.

Quant aux deux dernières, elles sont plus courantes que les premières. Car elles se pratiquent plus simplement. Cependant, Kodjoria fait l’objet d’une pratique systématique au sein de quelques groupements de jeunes paysans. Ces jeunes offrent leurs services aux personnes externes de leur groupe. Les gains financiers réalisés sont versés à la caisse du groupement.

Texte extrait du mémoire de Wahabou OURO-BANG'NA




jeudi 19 août 2010

Le peuple tém : culture, organisation sociale et politique

Les Tém habitent la région à cheval sur les préfectures de Tchaoudjo, Assoli, Tchamba, Sotouboua et Blitta (région centrale du Togo). Ils ont pour voisins immédiats les Tchamba à l’est, les Bassar à l’ouest, les Kabyès au nord et les Agnanga au sud.

Selon la cosmogonie tém traduite par une légende recueillie en 1932 par le Révérend Père G.Lelièvre à l’époque missionnaire à Alédjo, légende rapportée et commentée par l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam 13, Tém est considéré comme le premier homme sur la terre et signifie parfait.

Selon la légende, « En ce temps là il n’y avait personne dans ce pays autre que Tèm et sa femme. Un jour, Tèm alla à la chasse. Il grimpa sur un grand arbre pour inspecter les environs et voir s’i n’y avait pas de gibier. Il s’assit sur une branche et vit tomber du ciel une grande peau qui s’étendit à terre, un large siège tomba ensuite et se plaça sur la peau, puis le Soleil descendit et vint s’asseoir sur le siège. Tous les animaux se rassemblèrent autour de lui et le saluèrent. « Salut, Père Soleil, nous sommes contents de te voir, nous sommes heureux quand tu viens nous visiter ». Le soleil répondit à toutes les salutations, fit des reproches à quelques animaux qui s’étaient mal conduits, et se mit à juger les palabres qu’on lui soumit ... Cette légende dont on retrouve les répliques dans un conte (le chasseur dans la forêt hantée) rapporté par l’ethnologue Mamah Fousséni 14 dans un recueil où il résume la sagesse ancestrale et la vision du monde des tém, fait remonter l’action de juger à la naissance des êtres humains et fixe déjà le cadre de la justice. Ainsi, on voit le soleil qui descend du ciel, prend place sur un large siège posé sur une grande peau étendue à terre pour juger les palabres entre les animaux. La justice apparaît comme d’essence divine, donc sacrée. Alors on comprend aisément pourquoi le juge suprême des Tém est le roi-dieu et pourquoi le roi toujours dans l’exercice de ses fonctions (administrative, judiciaire,) s’assoit sur un siège posé sur une peau de bête étendue.

L’idée selon laquelle tous les animaux se rassemblaient autour du soleil, dieu soleil, dieu juge, père soleil, présage de la disposition au cours d’un procès dans le vestibule du roi. Il n’est pas surabondant de rappeler que la royauté est sacrée et que le respect dû au roi est en quelque sorte une déification. Au plan politique, les Tém sont considérés comme une société à Etat. Etudiant l’organisation politique des Tém, Pierre Alexandre écrit : « Si on se réfère aux définitions classiques de Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard et Fortes, on constate qu’on a affaire à une « société de type A », comportant « un gouvernement», caractérisé par l’exercice organisé d’une autorité coercitive au moyen de l’usage, ou de la possibilité d’usage de la force physique » c’est à dire d’un Etat 15 » Cet Etat que Pierre Alexandre appelle le royaume Kotocoli et que Baumann nomme le royaume de Tchaoudjo disposait d’une armée qui servait au maintien de l’ordre intérieur et à la guerre proprement dite. Pour Pierre Alexandre, Ouro Isso levait des réserves organisées sur la base territoriale quand il s’agissait de lancer des raids vers l’extérieur ou de repousser des incursions Ashanti, Yorouba ou fon. On ne peut comprendre l’organisation politique ou le droit tém si on ne se réfère pas aux notions de « dougoré » et de « sèdi ». En effet, « dougoré » désigne le vestibule, la grande case circulaire d’entrée dans la concession. C’est la plus petite quantité lignagère, un groupe généalogique d’environ quatre générations de profondeur .C’est la maison paternelle et c’est pour cela que « dougoré « constitue l’unité de base sur le plan résidentiel et rituel. Parlant de « sèdi », (salutation), il s’agit du clan. Celui-ci est au cœur même de ce qu’on pourrait appeler la constitution tém.

La pratique de la justice fait apparaître une organisation judiciaire hiérarchisée, très précise et calquée sur une organisation politique de type pyramidal. Il existe plusieurs niveaux dans l’appareil judiciaire. Lorsqu’un litige naît ou lorsqu’on le sent naître, il est porté devant le responsable du vestibule. A ce niveau, il s’agit de désamorcer le conflit en gestation (« gnozi ») qui veut dire arranger. Si cette démarche échoue, le litige est porté devant le chef du quartier qui est toujours du vestibule du clan autochtone dans le quartier. A partir de ce moment, on peut déjà parler d’un premier degré de juridiction. Cette instance est une cour royale en miniature. Une partie qui se sent lésée par la décision du chef du quartier a le droit de porter le litige devant le chef du village qui siège avec toute sa cour. Là aussi, une partie qui n’est pas d’accord a le droit de saisir la cour du chef suprême appelé Ouro Isso (le roi-dieu). La cour de Ouro Isso est la plus haute juridiction dans le royaume. C’est aussi cette cour qui est compétente pour connaître des litiges mettant en cause un chef de village. Il n’y a pas de recours possible contre les décisions de cette cour. On dit : le roi dieu a parlé. Cette cour bénéficie du crédit imagologique du roi dieu et la crédibilité de sa parole ne fait aucun doute dans l’esprit des populations. C’est la raison pour laquelle les décisions rendues par la cour du roi dieu ont toujours fait école. Notons aussi que « dougoré »est un symbole de la justice dans la mesure où c’est dans le vestibule que se déroulent les jugements. Aujourd’hui, les Tém sont l’ensemble culturel constitué par l’intégration de plusieurs clans d’origines diverses et parlant la langue tém. Parmi ces clans, on pourrait citer : les Mollah, les Nawo ou les kozi, les Daro, les Touré, les Traoré, les Dikèni, les fofana, les Louwo, les wadi, les Koli, les koumatê (Konaté), les Cissé, les Mendè, les wourouma, etc.

Chaque clan (« sèdi »), est caractérisé par la référence à un ancêtre mythique commun et un interdit alimentaire que doivent respecter rigoureusement tous ses membres. A l’exception du clan Traoré, le mariage est exogamique. Cependant, un Traoré peut contracter mariage en dehors de son clan. L’égalité devant la justice est un fait palpable dans la mesure où il existe un égalitarisme entre tous les Tém non chefs. Entre les citoyens Tém, il n’existe pas de privilège lié au clan. La maison maternelle est quelque chose de très important et de très significatif à cause de la nature fondamentale et déterminante de la relation avec la mère. La famille est dite « kobiré » qui fait référence à la mère. « ko » signifie mère et « biré » vient de « biya » qui veut dire les enfants. Donc « kobiré » est l’ensemble constitué par les enfants de la mère. L’oncle maternel « isséni » a un pouvoir considérable sur son neveu ou sa nièce « yidabou ». La maison la plus sure pour tout Tém est celle de la mère. Pour eux, il n’y a pas de danger dans cette maison. C’est pourquoi la méfiance, la prudence n’est jamais conseillée à un neveu qui rentre dans la maison du frère ou du père de sa mère contrairement à la maison paternelle. On peut même croiser la mort dans cette deuxième maison (chez les frères du père). La tension ou le conflit entre l’oncle paternel que les Tém désignent par père est très fréquent. Ainsi, le danger, la mort sont paternels et non maternels. Les activités principales des tém sont : l’agriculture (surtout les hommes, les femmes ayant un rôle secondaire), le commerce (surtout les femmes à cause peut -être de leur relative liberté conséquente à la division du travail), l’artisanat notamment le tissage et le transport. Les travaux les plus durs sont réservés aux hommes tandis que les travaux considérés comme les moins durs sont attribués aux femmes. Une femme ne cultive pas, même en cas de disette. L’Islam présent au plus tard au 18ème siècle est devenu la religion des Tém. Etre Tém aujourd’hui est synonyme de musulman. Les quelques rares chrétiens se rencontrent dans la zone d’Alédjo qui a connu les missionnaires.

Dans l’histoire, les Tém ont conclu des alliances communautaires (« Kédya ») encore vivaces aujourd’hui avec les Gourmantché, les Samirê au Nord-Bénin, ce qui justifie les railleries réciproques entre eux et les groupes intéressés. Ces alliances « perturbent » sur certains plans le droit positif togolais. A cet égard, entre Tém d’une part, Gourmantché et Moba d’autre part, sont proférées des injures parfois très dures sans se préoccuper de l’humeur de l’autre. Elles peuvent être proférées dans n’importe quelle circonstance. Ceci n’a rien à voir avec le rang social de l’intéressé ou ses fonctions d’Etat. Ce sont les rapports de par le passé qui autorisent ces injures et celui qui les profère se trouve dans un cas de justification par autorisation de la coutume. Il n’y a donc pas infraction. Ce qui est intéressant, c’est que les ethnies qui se trouvent dans ces relations continuent de se comporter comme si les injures n’étaient pas réglementées par le droit togolais. Entre elles, pas besoin de se trouver dans une situation de provocation pour répondre afin d’éviter une quelconque amende ou un travail pénal. Par ailleurs, c’est au mépris de l’article 196 du code pénal togolais que des Gourmantché ou des Samirê malmènent, brutalisent un défunt mollah. Ils peuvent même le ligoter et le traîner par terre. Pour ce qui est des valeurs de référence ou des valeurs cardinales, on peut citer la vérité et la droiture, le courage, la gratitude. Notons que la justice se dit« tovonoum » (vérité). De tout, c’est la honte que le Tém redoute le plus. Et pour 33 lui, seul un comportement digne permet de l’éviter. La dignité « Kézénbidi » reste le mot le plus significatif parce qu’il est au cœur de la capacité juridique de la personne, de ses droits civiques et politiques. C’est un peuple très fier qui a une fascination pour le courage (aime les situations de défis) et la sagesse. On voit mal par quel processus une société comme celle-là peut abandonner du jour au lendemain toutes ces valeurs pour se laisser régir par un droit fût-il le produit d’un monde développé. Alors, la résistance culturelle à ce nouveau droit étranger pose le problème de question de la consommation du droit positif togolais par les Tém.


Extrait du Mémoire de ATCHADAM Tikpi : « ANALYSE ANTHROPOLOGIQUE DU DROIT POSITIF TOGOLAIS A LA LUMIERE DES REALITES SOCIOCULTURELLES DES TEM DU CENTRE DU TOGO, FLESH- UL, 2006 »

Notes de l'auteur :
13 Aboubacry, Moussa Lam. (1997), Les chemins du Nil, les relations entre l’Egypte et l’Afrique noire, éd. Présence Africaine et Khépéra, 1997, p : 96-97.
14 Mamah, Fousséni. (1988), Contes Tém, Les Nouvelles Editions Africaines, Lomé-Dakar-Abidjan, p: 39. 29
15 Pierre Alexandre (1963), Organisation des Kotocoli du Nord-Togo, Cahiers d’Etudes Afrisaines, n°14, 1963 p : 228. 30