vendredi 20 août 2010

Principes des pratiques traditionnelles de coopération paysanne chez les tèm

La cohésion sociale, la volonté de s’entraider et la réciprocité sont des principes indispensables au fonctionnement des pratiques traditionnelles de coopération paysanne. Une société sans cohésion et des individus sans volonté de s’entraider font mourir l’entraide. Or, la disparition de ces pratiques mutualistes dans le cadre d’une agriculture de subsistance fait baisser de façon continue la productivité et le niveau de production agricole, entraînant ainsi par ricochet une pénurie alimentaire périodique et toujours plus accentuée. Car la pratique de l’entraide est justifiée par deux faits fondamentaux à savoir : l’incapacité de groupes à produire seuls les denrées nécessaires à leur survie et la nécessité sans cesse croissante de bien nourrir une population croissante.

Par ailleurs, il faut noter l’apparition, au sein de la communauté rurale, des besoins nouveaux obligeant les paysans à développer des stratégies diverses dont la création des groupes d’entraide en est une. Cette apparition des besoins nouveaux est liée à la juxtaposition d’une économie moderne à une économie de subsistance.

Tels sont les principes et les motivations qui fondent les pratiques traditionnelles de coopération paysanne. Ces pratiques ont des finalités et des fonctions auxquelles il faut bien accorder un intérêt.

La finalité principale de ces pratiques est l’accroissement de la production à travers l’extension des exploitations agricoles. Une bonne production garantie la sécurité alimentaire et la couverture des autres besoins élémentaires.

Ces pratiques sont facteurs de rapprochement des familles et des individus, de développement de l’esprit de solidarité et de participation dans le processus de production agricole.


Les types d’entraide

On dénombre quatre (4) formes d’entraide dans le domaine agricole. Ce sont : Alou n’dow Kigalaw, Kigalaw, kodjoria et Sina. Ces formes d’entraide se pratiquent généralement en saison pluvieuse, plus souvent, au moment des labours, confection de sillons, des butes, des billons.

Bref, pour tout dire sur ces pratiques, il convient de les présenter une à une.

Alou n’dow Kigalaw

Alou n’dow Kigalaw signifie littéralement entraide pratiquée pour une femme (épouse) C’est une sorte de prestation matrimoniale qu’un gendre organise et prend en charge en s’appuyant sur le réseau de relations familiales et amicales. Ainsi, sur la demande de son beau-père ou de sa belle-famille, le gendre mobilise les membres de sa propre famille et ses amis. D’abord, il les informe du moment, du lieu et du type d’activité à accomplir afin qu’ils puissent s’apprêter matériellement. Ensuite, il assure la nourriture des travailleurs pendant les travaux. Enfin il invite les griots pour la circonstance. Lui-même travailleur, le gendre doit faire preuve de bravoure et d’excellence. C’est surtout pour louer ses valeurs que le griot est là.

En somme, le gendre mobilise les ressources humaines et matériels nécessaires, s’occupe de l’organisation pratique des activités visées par l’entraide et veille à la réalisation de l’objectif principal de l’entraide. Cet objectif consistant à labourer une vaste étendue de l’espace pour produire au maximum.

Kigalaw

C’est une pratique d’aspect général. Par rapport aux autres formes, elle mobilise beaucoup plus de personnes. De ce point de vue, elle exige parfois un investissement financier pour suppléer à l’insuffisance de la fourniture alimentaire et matérielle.

Kigalaw est si souvent organisé par le chef de famille. Dans la pratique, celui-ci sollicite l’aide des gendres et des amis par le truchement des membres particuliers de la famille.Au cours des préparatifs, il fait parcelliser l’espace à cultivé, par un groupe restreint. Ces parcelles seront attribuées à chaque groupe constitué de travailleurs sollicités. Ici aussi la prestation d’un griot est indispensable pour décupler l’ardeur des travailleurs.

Kodjoria

C’est un contrat de travail. Il a généralement lieu entre deux paysans qui ont le même type d’activité à réaliser sur deux espaces de même dimension appartenant respectivement à l’un et à l’autre. Toutefois la distance séparant ces deux champs doit être raisonnable. Ainsi, les deux paysans travaillent alternativement dans le champ de l’un et de l’autre dans le respect des principes d’égalité et de réciprocité.

En dehors du fait que cette forme d’entraide se pratique par deux contractants, d’une façon particulière, elle peut aussi réunir plusieurs contractants ou faire l’objet d’une pratique entre familles.

Sina

‘‘Sina’’ signifie aide. Elle est sollicitée dans le cadre des travaux champêtres consistant à entretenir des espaces cultivés. Le défrichage, le désherbage et le sarclage sont les principales activités concernées. Dans ces cas précis, cette forme implique peu de travailleurs. Les travaux s’exécutent en des périodes de courte durée.

C’est aussi cette pratique qui a cour en période des moissons. Mais, cette fois-ci, c’est l’aide d’une multitude de personnes qui est sollicitée. En conséquence, le grand nombre aidant, le travail s’exécute rapidement.

En résumé, les deux premières formes sont relativement grandioses et générales. La toute première, Alou n’dow Kigalaw se fait maintenant rare, tandis que Kigalaw se pratique toujours.

Quant aux deux dernières, elles sont plus courantes que les premières. Car elles se pratiquent plus simplement. Cependant, Kodjoria fait l’objet d’une pratique systématique au sein de quelques groupements de jeunes paysans. Ces jeunes offrent leurs services aux personnes externes de leur groupe. Les gains financiers réalisés sont versés à la caisse du groupement.

Texte extrait du mémoire de Wahabou OURO-BANG'NA




jeudi 19 août 2010

Le peuple tém : culture, organisation sociale et politique

Les Tém habitent la région à cheval sur les préfectures de Tchaoudjo, Assoli, Tchamba, Sotouboua et Blitta (région centrale du Togo). Ils ont pour voisins immédiats les Tchamba à l’est, les Bassar à l’ouest, les Kabyès au nord et les Agnanga au sud.

Selon la cosmogonie tém traduite par une légende recueillie en 1932 par le Révérend Père G.Lelièvre à l’époque missionnaire à Alédjo, légende rapportée et commentée par l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam 13, Tém est considéré comme le premier homme sur la terre et signifie parfait.

Selon la légende, « En ce temps là il n’y avait personne dans ce pays autre que Tèm et sa femme. Un jour, Tèm alla à la chasse. Il grimpa sur un grand arbre pour inspecter les environs et voir s’i n’y avait pas de gibier. Il s’assit sur une branche et vit tomber du ciel une grande peau qui s’étendit à terre, un large siège tomba ensuite et se plaça sur la peau, puis le Soleil descendit et vint s’asseoir sur le siège. Tous les animaux se rassemblèrent autour de lui et le saluèrent. « Salut, Père Soleil, nous sommes contents de te voir, nous sommes heureux quand tu viens nous visiter ». Le soleil répondit à toutes les salutations, fit des reproches à quelques animaux qui s’étaient mal conduits, et se mit à juger les palabres qu’on lui soumit ... Cette légende dont on retrouve les répliques dans un conte (le chasseur dans la forêt hantée) rapporté par l’ethnologue Mamah Fousséni 14 dans un recueil où il résume la sagesse ancestrale et la vision du monde des tém, fait remonter l’action de juger à la naissance des êtres humains et fixe déjà le cadre de la justice. Ainsi, on voit le soleil qui descend du ciel, prend place sur un large siège posé sur une grande peau étendue à terre pour juger les palabres entre les animaux. La justice apparaît comme d’essence divine, donc sacrée. Alors on comprend aisément pourquoi le juge suprême des Tém est le roi-dieu et pourquoi le roi toujours dans l’exercice de ses fonctions (administrative, judiciaire,) s’assoit sur un siège posé sur une peau de bête étendue.

L’idée selon laquelle tous les animaux se rassemblaient autour du soleil, dieu soleil, dieu juge, père soleil, présage de la disposition au cours d’un procès dans le vestibule du roi. Il n’est pas surabondant de rappeler que la royauté est sacrée et que le respect dû au roi est en quelque sorte une déification. Au plan politique, les Tém sont considérés comme une société à Etat. Etudiant l’organisation politique des Tém, Pierre Alexandre écrit : « Si on se réfère aux définitions classiques de Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard et Fortes, on constate qu’on a affaire à une « société de type A », comportant « un gouvernement», caractérisé par l’exercice organisé d’une autorité coercitive au moyen de l’usage, ou de la possibilité d’usage de la force physique » c’est à dire d’un Etat 15 » Cet Etat que Pierre Alexandre appelle le royaume Kotocoli et que Baumann nomme le royaume de Tchaoudjo disposait d’une armée qui servait au maintien de l’ordre intérieur et à la guerre proprement dite. Pour Pierre Alexandre, Ouro Isso levait des réserves organisées sur la base territoriale quand il s’agissait de lancer des raids vers l’extérieur ou de repousser des incursions Ashanti, Yorouba ou fon. On ne peut comprendre l’organisation politique ou le droit tém si on ne se réfère pas aux notions de « dougoré » et de « sèdi ». En effet, « dougoré » désigne le vestibule, la grande case circulaire d’entrée dans la concession. C’est la plus petite quantité lignagère, un groupe généalogique d’environ quatre générations de profondeur .C’est la maison paternelle et c’est pour cela que « dougoré « constitue l’unité de base sur le plan résidentiel et rituel. Parlant de « sèdi », (salutation), il s’agit du clan. Celui-ci est au cœur même de ce qu’on pourrait appeler la constitution tém.

La pratique de la justice fait apparaître une organisation judiciaire hiérarchisée, très précise et calquée sur une organisation politique de type pyramidal. Il existe plusieurs niveaux dans l’appareil judiciaire. Lorsqu’un litige naît ou lorsqu’on le sent naître, il est porté devant le responsable du vestibule. A ce niveau, il s’agit de désamorcer le conflit en gestation (« gnozi ») qui veut dire arranger. Si cette démarche échoue, le litige est porté devant le chef du quartier qui est toujours du vestibule du clan autochtone dans le quartier. A partir de ce moment, on peut déjà parler d’un premier degré de juridiction. Cette instance est une cour royale en miniature. Une partie qui se sent lésée par la décision du chef du quartier a le droit de porter le litige devant le chef du village qui siège avec toute sa cour. Là aussi, une partie qui n’est pas d’accord a le droit de saisir la cour du chef suprême appelé Ouro Isso (le roi-dieu). La cour de Ouro Isso est la plus haute juridiction dans le royaume. C’est aussi cette cour qui est compétente pour connaître des litiges mettant en cause un chef de village. Il n’y a pas de recours possible contre les décisions de cette cour. On dit : le roi dieu a parlé. Cette cour bénéficie du crédit imagologique du roi dieu et la crédibilité de sa parole ne fait aucun doute dans l’esprit des populations. C’est la raison pour laquelle les décisions rendues par la cour du roi dieu ont toujours fait école. Notons aussi que « dougoré »est un symbole de la justice dans la mesure où c’est dans le vestibule que se déroulent les jugements. Aujourd’hui, les Tém sont l’ensemble culturel constitué par l’intégration de plusieurs clans d’origines diverses et parlant la langue tém. Parmi ces clans, on pourrait citer : les Mollah, les Nawo ou les kozi, les Daro, les Touré, les Traoré, les Dikèni, les fofana, les Louwo, les wadi, les Koli, les koumatê (Konaté), les Cissé, les Mendè, les wourouma, etc.

Chaque clan (« sèdi »), est caractérisé par la référence à un ancêtre mythique commun et un interdit alimentaire que doivent respecter rigoureusement tous ses membres. A l’exception du clan Traoré, le mariage est exogamique. Cependant, un Traoré peut contracter mariage en dehors de son clan. L’égalité devant la justice est un fait palpable dans la mesure où il existe un égalitarisme entre tous les Tém non chefs. Entre les citoyens Tém, il n’existe pas de privilège lié au clan. La maison maternelle est quelque chose de très important et de très significatif à cause de la nature fondamentale et déterminante de la relation avec la mère. La famille est dite « kobiré » qui fait référence à la mère. « ko » signifie mère et « biré » vient de « biya » qui veut dire les enfants. Donc « kobiré » est l’ensemble constitué par les enfants de la mère. L’oncle maternel « isséni » a un pouvoir considérable sur son neveu ou sa nièce « yidabou ». La maison la plus sure pour tout Tém est celle de la mère. Pour eux, il n’y a pas de danger dans cette maison. C’est pourquoi la méfiance, la prudence n’est jamais conseillée à un neveu qui rentre dans la maison du frère ou du père de sa mère contrairement à la maison paternelle. On peut même croiser la mort dans cette deuxième maison (chez les frères du père). La tension ou le conflit entre l’oncle paternel que les Tém désignent par père est très fréquent. Ainsi, le danger, la mort sont paternels et non maternels. Les activités principales des tém sont : l’agriculture (surtout les hommes, les femmes ayant un rôle secondaire), le commerce (surtout les femmes à cause peut -être de leur relative liberté conséquente à la division du travail), l’artisanat notamment le tissage et le transport. Les travaux les plus durs sont réservés aux hommes tandis que les travaux considérés comme les moins durs sont attribués aux femmes. Une femme ne cultive pas, même en cas de disette. L’Islam présent au plus tard au 18ème siècle est devenu la religion des Tém. Etre Tém aujourd’hui est synonyme de musulman. Les quelques rares chrétiens se rencontrent dans la zone d’Alédjo qui a connu les missionnaires.

Dans l’histoire, les Tém ont conclu des alliances communautaires (« Kédya ») encore vivaces aujourd’hui avec les Gourmantché, les Samirê au Nord-Bénin, ce qui justifie les railleries réciproques entre eux et les groupes intéressés. Ces alliances « perturbent » sur certains plans le droit positif togolais. A cet égard, entre Tém d’une part, Gourmantché et Moba d’autre part, sont proférées des injures parfois très dures sans se préoccuper de l’humeur de l’autre. Elles peuvent être proférées dans n’importe quelle circonstance. Ceci n’a rien à voir avec le rang social de l’intéressé ou ses fonctions d’Etat. Ce sont les rapports de par le passé qui autorisent ces injures et celui qui les profère se trouve dans un cas de justification par autorisation de la coutume. Il n’y a donc pas infraction. Ce qui est intéressant, c’est que les ethnies qui se trouvent dans ces relations continuent de se comporter comme si les injures n’étaient pas réglementées par le droit togolais. Entre elles, pas besoin de se trouver dans une situation de provocation pour répondre afin d’éviter une quelconque amende ou un travail pénal. Par ailleurs, c’est au mépris de l’article 196 du code pénal togolais que des Gourmantché ou des Samirê malmènent, brutalisent un défunt mollah. Ils peuvent même le ligoter et le traîner par terre. Pour ce qui est des valeurs de référence ou des valeurs cardinales, on peut citer la vérité et la droiture, le courage, la gratitude. Notons que la justice se dit« tovonoum » (vérité). De tout, c’est la honte que le Tém redoute le plus. Et pour 33 lui, seul un comportement digne permet de l’éviter. La dignité « Kézénbidi » reste le mot le plus significatif parce qu’il est au cœur de la capacité juridique de la personne, de ses droits civiques et politiques. C’est un peuple très fier qui a une fascination pour le courage (aime les situations de défis) et la sagesse. On voit mal par quel processus une société comme celle-là peut abandonner du jour au lendemain toutes ces valeurs pour se laisser régir par un droit fût-il le produit d’un monde développé. Alors, la résistance culturelle à ce nouveau droit étranger pose le problème de question de la consommation du droit positif togolais par les Tém.


Extrait du Mémoire de ATCHADAM Tikpi : « ANALYSE ANTHROPOLOGIQUE DU DROIT POSITIF TOGOLAIS A LA LUMIERE DES REALITES SOCIOCULTURELLES DES TEM DU CENTRE DU TOGO, FLESH- UL, 2006 »

Notes de l'auteur :
13 Aboubacry, Moussa Lam. (1997), Les chemins du Nil, les relations entre l’Egypte et l’Afrique noire, éd. Présence Africaine et Khépéra, 1997, p : 96-97.
14 Mamah, Fousséni. (1988), Contes Tém, Les Nouvelles Editions Africaines, Lomé-Dakar-Abidjan, p: 39. 29
15 Pierre Alexandre (1963), Organisation des Kotocoli du Nord-Togo, Cahiers d’Etudes Afrisaines, n°14, 1963 p : 228. 30